De l’accélération du progrès à la singularité technologique
Dès l’apparition des premiers ordinateurs, les esprits brillants qui les avaient conçus, John Von Neumann le premier, se sont interrogés sur l’accélération non seulement de la production de connaissances, mais des progrès de la technologie, et de leur impact sur l’Homme. Cette réflexion est encore à ce jour une question ouverte : quel impact sur l’économie, la société, la relation au monde et à soi-même, auront, et ont déjà, les progrès foudroyants de la technologie ?
Avec l’introduction de l’ordinateur, qui mécanise et externalise le calcul, ces limites sont encore repoussées et ce progrès s’accélère. Toute la question est de savoir si un point extrême se trouve sur cette trajectoire, au-delà duquel toute notre existence serait transformée.
La dérive vers le transhumanisme
Certains ont déjà répondus à cette question, et non seulement anticipent mais appellent de leurs vœux, une transformation radicale de l’essence même de l’humanité. Un être humain augmenté, un être humain transcendant sa propre humanité dans une apothéose d’invulnérabilité, de puissance et d’immortalité. Une réponse technologique définitive à nos limitations biologiques, ramenées à un simple problème d’ingénierie.
Pourtant, derrière cette recherche et ses promesses d’avenir radieux, on voit se dresser d’inquiétantes silhouettes : JBS Haldane, brillant et prestigieux généticien, mais également père du concept de clonage, de la fertilisation in vitro, ou encore de la cultivation extra-corporelle d’organes ; Julian Huxley, un biologiste renommé, eugéniste convaincu, qui n’hésitait pas à dire encore dans les années soixante que « personne ne doute de la sagesse de gérer le plasme germinatif des stocks agricoles, alors pourquoi ne pas appliquer le même concept aux stocks humains ». Et pour clore cette liste incomplète, il faut citer Fereidoun M. Esfandiary, qui n’hésita pas en 1970 à changer son nom en « FM-2023 », considérant que les noms relevaient d’une identité collective et culturelle, qui serait bientôt remplacée par une identité « personnelle ». Ce dernier disait encore : « Le jeune moderne ne perd pas son identité. Il s’en débarrasse volontiers. »
Des déclarations qui résonnent de façon étonnante avec des mouvements culturels et sociologiques actuels, dont la caractéristique fondamentale est une prétention à une auto-détermination absolue relevant d’un narcissisme abyssal.
Faut-il voir autre chose dans cette recherche que la puérilité d’un enfant capricieux qui trépigne pour une part de gâteau supplémentaire ? On peut en douter quand on considère le fatras pseudo-scientifique, mêlant progrès scientifique et considérations philosophiques hasardeuses, d’où est issu le transhumanisme.
Le singe dans la combinaison spatiale
Une question embarrassante se dresse sur ce chemin qui semble tout tracé : quelle est la créature qui se tient au centre de cet exosquelette virtuel que constitue la technologie aujourd’hui ? Ne s’agit-il pas du même australopithèque agressif et effrayé qui venait à peine de se redresser dans la savane éthiopienne il y a 4 millions d’années ? Faible et sans défense, soumis au stress constant des prédateurs, de la recherche de nourriture et de la lutte pour la reproduction.
Une question bien gênante, car elle se retourne vers l’humain pour l’interroger sur ses motivations ultimes dans cette quête perpétuelle du progrès, et finalement, sur la nature même de son humanité. Chercher à se débarrasser de notre humanité n’est alors peut-être qu’une manière de se débarrasser de cette question obsédante.
T.B.